Le marché des bureaux continue de brasser des liquidités, signe d’un attrait confirmé pour la stabilité du pays. 2019 est aussi marquée par la montée en force du coworking et de l’investissement massif d’acteurs étrangers.
En trompe-l’œil. La prise en occupation – soit l’arrivée d’occupants dans leurs nouveaux bureaux – du premier semestre 2019 pointe à quelque 42.000 m2. «Le début d’année le plus lent depuis 2009», selon un rapport de Cushman & Wakefield. Pas de quoi affoler les spécialistes du secteur puisque des livraisons pour 388.000 m2 sont attendues d’ici à la fin de l’année selon CBRE Luxembourg. À noter que les baux déjà signés seront repris dans les statistiques au moment de l’arrivée des occupants.
La tendance paraît aussi moins dynamique en raison de l’actualité des dernières années. «Les grandes sociétés ont déjà réalisé leur déménagement durant les dernières années», rappelle Vincent Bechet , managing director d’Inowai, en pensant aux Big Four et autres cabinets d’avocats. Le secteur public, étatique ou européen, voit toujours plus grand. Inowai répertoriait dans son rapport semestriel quelque 280.000 m2 d’extensions en cours pour les autorités européennes. Et 60.000 m2 en projet qui viendront encore s’ajouter aux 700.000 m2 existants.
Le taux de vacance – soit les surfaces libres – sera quant à lui amené à rester relativement bas: 3,78% au deuxième trimestre. «Les sociétés de taille moyenne qui recherchent entre 2.000 et 3.000 m2 trouvent toujours des locaux à disposition», relativise Romain Muller , managing director de JLL Luxembourg. Avec un prix du foncier élevé, des autorisations de bâtir plutôt chronophages et des banques moins enclines à financer des projets à blanc, le spéculatif reste à la marge. « Un trop grand volume de spéculatif pourrait avoir un effet limitatif sur la hausse des loyers », note Jérôme Coppée, director capital markets de CBRE Luxembourg.
Luxembourg sur la carte
Une rareté des biens – a fortiori en centre-ville et au Kirchberg – combinée à une économie prospère et une stabilité politique jouent à fond sur la demande des investisseurs étrangers. De l’avis de beaucoup de spécialistes, les liquidités n’ont jamais été aussi importantes. Et dans un contexte de taux bas, la brique est un actif prisé. Au point que de nombreuses transactions se passent en dehors des radars des agents et des rapports de marché. À peine certains immeubles sont-ils disponibles que des candidats acheteurs se manifestent à la faveur d’un réseautage bien entretenu.
«Alors que le marché luxembourgeois n’était pas forcément sur la carte de certains investisseurs il y a quelques années en raison de sa petite taille, la donne a changé, ajoute Jérôme Coppée. Cette dynamique positive se concentre sur le centre-ville, mais s’éloigne aussi de la capitale. On voit d’ailleurs que beaucoup de choses se passent dans le sud.»
2018 s’était clôturée sur un volume d’investissement de 2,4 milliards d’euros. La barre du milliard sera sans nul doute franchie cette année, avec 788 millions pour le premier semestre. La mise en vente des bâtiments Helios à la Cloche d’Or (siège d’IQ-EQ notamment) et leurs 68.000 m2 ainsi que Les Terres Rouges (siège de RBC Investor Services Bank) avec leurs 45.000 m2 à Belval auront valeur de test pour trouver des investisseurs à la hauteur de leurs surfaces.
«L’appétit est énorme pour l’achat de bons produits dans des marchés qui sont politiquement et financièrement stables, et le Luxembourg est clairement un des premiers pays sur la liste, note Romain Muller. Le manque de produits sur le marché peut en revanche impacter quelque peu le volume d’investissement.»
L’année du coworking
Mais la tendance phare de 2019 est bien le coworking, ces espaces de travail partagés et entourés de services dédiés aux occupants. Les 6.000 m2 pris par IWG (groupe de Regus) à la gare ont marqué les esprits. Des acteurs locaux comme Ginkgo Solutions Facilities s’inscrivent dans ce mouvement et Welkin and Meraki lançait son espace de «coworking 5 étoiles» en avril dernier. Entre autres.
Il se murmure que les stars internationales examinent le «cas» du Luxembourg. Dont WeWork. «Ceci confirme le fait que le délai entre ce qui se passe dans les autres grandes villes de l’Europe continentale et le Luxembourg tend à se réduire fortement», pointe Cédric Van Meerbeeck, head of research Belgium & Luxembourg chez Cushman & Wakefield Luxembourg. JLL notait d’ailleurs dans son rapport de marché que 46% des transactions relevées pour le deuxième trimestre concernaient le coworking et les business centers.
Une nouvelle façon de travailler (incubateurs et espaces de coworking) qui représente actuellement 2% d’un stock de 4.242.000 m2. «Le phénomène du coworking va s’inscrire dans la durée. Il y a dix ans, la tendance était peut-être de prévoir 10 voire 15% de surface en réserve dans les nouveaux espaces. L’heure est désormais à l’optimisation de façon intelligente et aux bureaux partagés», appuie Vincent Bechet. Du côté des propriétaires d’immeubles en centre-ville ou à proximité de pôles de transports, c’est une nouvelle aubaine qui se profile.
Changements d’habitudes
Coworking, télétravail, bureaux satellites… le marché de l’immobilier de bureaux est marqué par une progressive mais importante évolution, poussée par le souhait des jeunes générations de gagner en autonomie et en flexibilité de travail. Et par la problématique de la mobilité autour du centre-ville.
«Est-ce que toutes les sociétés doivent être présentes sur la commune de Luxembourg-ville?, s’interroge Romain Muller. Nous devons trouver des solutions de mobilité autour de pôles périphériques et trouver un compromis entre les communes pour harmoniser l’impôt communal (moins élevé à Luxembourg-ville, ndlr). Ceci permettrait de désengorger les axes vers le centre-ville et ouvrirait vers un développement territorial plus harmonieux.»
Après l’année de la Cloche d’Or , place à 2020, l’année de Howald et du début des travaux d’Airport City au Findel, indique-t-on du côté de Cushman & Wakefield Luxembourg. «Belval va aussi prendre encore un peu plus de vitesse dans son développement», indique son directeur, Sébastien Bequet.
Reflet de l’économie dynamique, le marché immobilier est aussi le miroir des enjeux sociétaux. «Il est facile de critiquer l’État lorsqu’on évoque les soucis de mobilité, mais qui aurait pu prévoir un tel succès pour le Luxembourg?, souligne Vincent Bechet. Félicitons-nous plutôt de la chose et trouvons des réponses intelligentes, qui viendront du changement du comportement de chacun. Délaisser la voiture au profit des transports en commun ne signifie pas perdre quelque chose, mais aller à la rencontre de ses associés de demain qui sont déjà en bus, en tram, en trottinette ou à vélo.»